Avec plusieurs objectifs en vue, dont celui de devenir un acteur diplomatique incontournable sur la scène régionale et internationale, Ankara tente de rapprocher Hargeisa et Addis Abeba qui s’opposent sur un accord entre ce dernier et le Somaliland. Si la troisième réunion prévue mi-septembre a été repoussée, l’initiative a permis de préserver un canal de discussion... Et les nombreux intérêts turcs dans la région. Depuis le 1er janvier 2024, l’Éthiopie et la Somalie sont à couteaux tirés. La dispute a pour origine la signature entre Addis-Abeba et Hargeisa, la capitale du Somaliland, d’un protocole d’accord prévoyant la cession à l’Éthiopie pour une durée de cinquante ans d’une bande littorale de 20 kilomètres dans la ville portuaire de Berbera, sans l’assentiment de Mogadiscio, qui n’a jamais reconnu l’indépendance de son ancienne province. S’il se concrétisait, cet accord permettrait à l’Éthiopie enclavée (depuis l’indépendance de l’Érythrée, en 1993) l’installation d’une base navale et l’ouverture et la gestion d’un port commercial, en échange de la reconnaissance de l’indépendance du Somaliland. Cela constitue une ligne rouge pour la Somalie, qui considère sa souveraineté bafouée. Jusqu’au mois de juillet, les deux voisins de la Corne de l’Afrique se sont refusés à toute discussion pour tenter d’apaiser des tensions qui font courir un risque à l’ensemble de la région de la Corne et de la mer Rouge, une route maritime essentielle pour le commerce global placée sous surveillance internationale. Toutefois, le 1er juillet, Éthiopiens et Somaliens se sont accordés pour entamer des pourparlers indirects sous l’égide de la Turquie. Le choix d’Ankara peut susciter des interrogations au regard de l’activisme de nombreuses puissances, traditionnelles et émergentes, présentes dans la région, et de la mobilisation des organisations régionales. Il émane pourtant d’une demande explicite du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, portée à Ankara par l’ancien président éthiopien Mulatu Teshome – qui a aussi été ambassadeur à Ankara – au président turc Recep Tayyip Erdoğan en mai 2024. Deuxième investisseur après la Chine, la Turquie, favorable à un État somalien fédéré incluant le Somaliland, est un des partenaires privilégiés de l’Éthiopie, où 200 de ses entreprises sont aujourd’hui installées. Leur proximité s’est renforcée lorsque la Turquie a fourni l’armée fédérale éthiopienne en drones TB2 utilisés sur le front tigréen au cours de la guerre de 2020-2022. La sollicitation de la Turquie par l’Éthiopie semble à cet égard justifiée. Elle est aussi stratégique puisqu’elle garantit la confiance de la Somalie, avec qui la Turquie entretient des relations stratégiques depuis une quinzaine d’années. En recourant à ce médiateur présent sur la scène diplomatique internationale, l’Éthiopie espère aussi la mise à l’agenda de ses requêtes dans une arène diplomatique en dehors de l’Afrique.
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- Turquie-Afrique : une Pax Ottomana entre l’Éthiopie et la Somalie ?, de L'Ifri par Elisa DOMINGUES DOS SANTOS